Mots-clés. Suisse. canton. Waldstätten. confédération. loi. pacte. 1291. carte. XIII.
Traité d'alliance entre Uri, Schwytz et Nidwald (la
vallée inférieure d'Unterwald), au début
d'août 1291 (en 1891, le 1er août devint la date de la
fête nationale suisse). Texte en latin qui renouvelle une
alliance antérieure entre des communautés paysannes
bénéficiant de libertés, mais craignant les
prétentions et empiétements des Habsbourg. Justement,
l'empereur Rodolphe (un Habsbourg plutôt conciliant) vient de
mourir le 15 juillet 1291. De quoi l'avenir sera-t-il fait ? Par
précaution, on confirme l'alliance en précisant que
l'on n'acceptera jamais de juges étrangers aux trois
vallées des "Waldstätten" (pays de la fôret, ainsi
se désignaient-ils par ailleurs). Notez que le terme
"Confédérés" présent dans la traduction
n'existe pas dans l'original latin où on dit simplement "si
l'un d'entre nous...., les autres devront....".
"Au nom du Seigneur, amen. C'est accomplir une action honorable et
profitable au bien public que de confirmer, selon les formes
consacrées, les conventions ayant pour objet la
sécurité et la paix. Que chacun sache donc que,
considérant la malice des temps et pour mieux défendre
et maintenir dans leur intégrité leurs personnes et
leurs biens, les hommes de la vallée d'Uri, la
communauté de Schwytz et celle des hommes de la vallée
inférieure d'Unterwald, se sont engagés, en toute bonne
foi, de leur personne et de leurs biens, à s'assister
mutuellement, s'aider, se conseiller, se rendre service de tout leur
pouvoir et de tous leurs efforts, dans leurs vallées et au
dehors, contre quiconque, nourrissant de mauvaises intentions
à l'égard de leur personne ou de leurs biens,
commettrait envers eux ou l'un quelconque d'entre eux un acte de
violence, une vexation ou une injustice, et chacune des
communautés a promis à l'autre d'accourir à son
aide en toute occasion où il en serait besoin, ainsi que de
s'opposer, à ses propre frais, s'il est nécessaire, aux
attaques de gens malveillants et de tirer vengeance de leurs
méfaits, prêtant serment, renouvelant par les
présentes la teneur de l'acte de l'ancienne alliance
corroborée par un serment, et cela sous réserve que
chacun, selon la condition de sa personne, soit tenu , comme il sied,
d'être soumis à son seigneur et de le servir.
Après délibérations en commun et accord unanime,
nous avons promis, statué et décidé de
n'accueillir et de n'accepter en aucune façon dans les dites
vallées un juge qui aurait acheté sa charge, à
prix d'argent ou par quelque autre moyen, ou qui ne serait pas
habitant de nos vallées ou membre de nos communautés.
Si une dissension surgit entre quelques-uns des
Confédérés, ceux dont le conseil a le plus de
poids doivent intervenir pour apaiser le différent selon le
mode qui leur paraîtra efficace ; et les autres
Confédérés devront se tourner contre la partie
qui rejetterait leur sentence. En outre, il a été
convenu entre eux ce qui suit : si un meurtre est commis avec
préméditation et sans provocation, le meurtrier, s'il
est pris, doit, comme son crime infâme l'exige, être mis
à mort, à moins qu'il ne puisse prouver son innocence;
et s'il s'enfuit, il ne pourra jamais revenir au pays. Ceux qui
accorderaient abri et appui à ce malfaiteur, seront
expulsés des vallées jusqu'à ce que les
Confédérés jugent bon de les rappeler. Si
quelqu'un met volontairement le feu aux biens d'un
Confédérés, de jour ou dans le silence de la
nuit, il ne sera plus jamais considéré comme membre
d'une de nos communautés. Et si quelqu'un, dans nos
vallées, favorise le dit malfaiteur et le protège, il
sera tenu de donner satisfaction à la personne
lésée. De plus, si l'un des
Confédérés commet un vol au détriment
d'un autre ou lui cause un dommage quelconque, les biens du coupable
qui pourraient être saisis dans les vallées doivent
être mis sous séquestre pour servir, selon la justice,
à indemniser le lésé. Au surplus, nul n'a le
droit de saisir comme gage le bien d'autrui, sinon d'un
débiteur ou d'une caution manifeste, et même dans ce
cas, il ne peut le faire qu'avec l'autorisation spéciale de
son juge. De plus, chacun doit obéir à son juge et, si
besoin est, doit indiquer quel est dans la vallée le juge dont
il relève juridiquement. Et au cas où quelqu'un
refuserait de soumettre au jugement rendu et où l'un des
Confédérés subirait quelque dommage, du fait de
cette résistance, tous les Confédérés
seraient tenus de contraindre le dit contumace à donner
satisfaction. Surgisse une guerre ou un conflit entre quelques-uns
des Confédérés, si l'une des parties se refuse
à rendre pleine et entière justice, les
Confédérés sont tenus de prendre fait et cause
pour l'autre partie. Les décisions ci-dessus
consignées, prises dans l'intérêt et au profit de
tous, devront, si Dieu le permet, durer à
perpétuité; en témoignage de quoi le
présent acte, dressé à la requête des
prénommés, a été validé par
l'apposition des sceaux des trois communautés et
vallées. Fait en l'an du Seigneur 1291 au début du mois
d'août."
Antoine Castell, Les chartes fédérales de
Schwyz, Einsiedeln, 1938, pp. 37-40
"(...) au risque de décevoir une historiographie
traditionnelle, je doute que la construction, digne d'estime, du
fédéralisme suisse, ait été, dans son
long et difficile cheminement, portée d'emblée par le
noble idéal de la fédération de peuples
frères, mais divers et tenant à leur liberté.
Les trois Suisses du Grütli, et ceux qui leur ont
succédé dans la signature des pactes ultérieurs
et à la Diète du Corps helvétique,
n'étaient pas des professeurs de droit public imaginant un
édifice constitutionnel parfait ni des patriotes avant la
lettre portés par l'idéal de la fraternité
confédérale. C'étaient des paysans de fortune
inégale, généralement modeste, des
commerçants, des entrepreneurs de transport, quelques petits
nobles et quelques notaires moins généreusement
idéalistes que pragmatiques, comptant leurs
intérêts, âpres à défendre leurs
droits, leurs biens, leurs libertés au pluriel plus que la
Liberté avec un grand L ou la fraternité
universelle.
Apres à défendre : on ne s'unit pas pour se fondre dans
une communauté harmonieuse, mais pour défendre ses
droits, pour résister en groupant ses forces. Résister
: la Suisse est d'abord une coalition de résistances. Les
nations qui nous entourent se sont construites autour d'une dynastie
monarchique, autour d'une capitale, autour d'une langue, souvent
autour d'une unité confessionnelle. La
Confédération, elle, à contre-courant souvent de
l'histoire européenne, s'est construite contre. Au-dedans,
dans les communautés, elle s'est affirmée contre la
famille dominatrice ou contre le chef trop puissant, contre les
redevances dues au seigneur ou au couvent, contre le juge qui vient
du dehors ou qui a acheté sa charge. Au-dehors, la
Confédération s'est forgée contre le prince,
contre le Habsbourg, ou contre l'empereur, contre le pays
conquérant et, souvent, contre le canton voisin qui
étend ses pâturages au-delà de la ligne de
partage des eaux, qui conteste un droit de passage, qui ferme ses
marchés, contre Zurich, orgueilleuse et riche.
Une coalition de résistances, et de résistances
fondamentalement républicaines, résistances
républicaines à vrai dire plus que
démocratiques. Sans doute on ne contestera pas le
caractère démocratique, à la base de la
landsgemeinde, pas plus que, à l'origine, le gouvernement
relativement populaire des villes. Mais la démocratie subira
bien des entorses et bien des éclipses.
(...) Mais on reste, en dépit de la déviation
oligarchique des institutions, fondamentalement républicain,
répartissant d'une manière assez égalitaire les
charges, les prébendes et les privilèges entre les
familles régnantes, prenant garde, par l'alternance à
court terme aux charges suprêmes d'avoyer ou de bourgmestre,
qu'aucun pouvoir personnel et dynastique ne s'instaure. Le
gouvernement est essentiellement collégial, comme l'est aussi,
généralement le commandement militaire."
Georges-André Chevallaz , "L'histoire de la
Confédération suisse : une démarche en
contrepoint", in Les défis des années 1990 :
position et stratégie internationale de la Suisse, Annales
d'études internationales, Volume 17, 1989-1990